"Un esprit sain dans un corps sain"
Je compare souvent mes mains aux magazines chez le médecin. Vous savez ceux aux angles tous biscornus par le tripotages de l'attente, ramollis par la moiteur de la fièvre. Ceux qui sont mi-biscuits collés, mi-crottes de nez, avec des tâches grasses sur les visages des stars qui étaient au top glamour dans leur chalet en 2008. Paris match et Gala, sponsors officiels des salles d'attentes de mon enfance. Grâce à eux je connaissais mieux les vacances des politiciens de droite et surtout, je m'assurais de partager et de recevoir de nouvelles maladies et ce gratuitement. Car bien que mon look de caissière soit aussi attractif que ce magazine désormais vintage (c'est-à-dire moche et puant), mon attachement à notre condition commune à lui et moi est dû aux bactéries, à la saleté, à la crasse. Je ne vais pas vous faire un dessin, nous sommes dégueulasses. Toucher mes mains au boulot revient à lécher la barre de métro, à rouler une pelle à un clodo, à se taper un rail sur le rebord des toilettes après une tourista : c'est très dangereux mais excitant.
Certains ne se rendent pas compte du danger : ils laissent leurs baguettes nues sur le tapis, leurs saucissons tout frétillants sans plastique, leurs enfants parfois. Car oui, pour ceux qui n'ont pas les moyens de payer un tour de manège à leur progéniture, le tapis du super-marché reste dans le top 3 de l'attraction gratos entre la course de caddie et voler sans se faire chopper. De plus en cas de chute on peut toujours attaquer le magasin en justice pour ne pas avoir mis de panneau tapis interdit aux enfants.
Cher client votre santé m'importe beaucoup, un client malade/mort est un client de perdu!
Armée de mon spray je nettoie la caisse avant vous, pour que le sang de poisson du client précédent ne se mélange pas à celui de votre poulet. Je récupère vos papiers et mouchoirs sales, voir vos tampons (oui oui) laissés délicatement tel une offrande derrière ma caisse.
J'asticote, je désinfecte tout azimut pour le bonheur de vos yeux.
"L'argent c'est sale"
Mais n'oublions pas que ce qu'il y a de plus sale c'est l'argent. Il passe de mains en mains, parfois de seins en mains et même de pieds en mains. Oui certaines femmes, et par là je m'adresse aux plus distinguées, aiment "caler" leurs billets de cinq euros sous leurs mamelles ou dans leurs chaussettes. Et bien que ce soit très ingénieux (il est vrai que personne n'oserait venir vous le prendre ici), cela me donne un peu l'impression de bosser dans une boite de nuit lorsque les vestiaires sont à plus de 4 euros. Souvenez-vous, vous veniez en minis robes aguicheuses, et vos bustiers vous servaient de porte-monnaie pour ne pas payer le vestiaire! Quelles femmes!
J'imagine que certaines soixantenaires ont gardé cette habitude raffinée pour le plus grand plaisir des caissières. Grosse ambiance caliente.
ela ne fait malheureusement plus l'effet escompté. Non pas à cause des années passées (nous n'oserions pas) mais parce que payer sa conso en boite et acheter ses serviettes incontinence TENA, c'est pas tout à fait la même...
Il y a aussi le client qui achète un seul article et garde donc au creux de sa main le compte pile en pièces de cinq centimes depuis dix minutes. En recevant la somme, vous sentez une chaleur vous envahir la main et le cœur, et vous souriez bien sûr : les pièces moites quel bonheur!
Il ne faut pas non plus regarder l'état des mains de certains coquins, car notre instinct de survie nous dirait de ne pas toucher l'argent sans décontamination préalable.
"Gel désinfectant best friend forever"
Heureusement depuis quelques années nous avons le gel désinfectant. Aussi appelé "Saint Graal", "merveille absolue", "le sauveur" ou "mon amour", il est devenu notre meilleur ami. Je me jette sur lui après une mauvaise expérience, je le mets sous mon nez lorsque l'odeur d'urine et de vin m'envahit trop profondément (un ami travaillant à la morgue m'a conseillé cette technique). J'ai vu certaines collègues pleurer de détresse en ne le trouvant pas!
Pour ma part je l'aime tellement que je l'ai goutté. Après qu'un client aussi délicieux qu'un ragoût de verrue (insulte de sorcière) m'ait délicatement postillonné abondamment dans la bouche avant neuf heures du matin, c'est à dire avant le café, mon instinct de survie (lui encore) à refusé que cette pluie soit ma première collation du matin et je me suis jetée corps et âme sur le gel désinfectant. Une gorgée équivaut à six shooters, cela m'a permis de continuer cette journée plus forte et plus belle.
Évidemment rien ne vaut du savon et de l'eau, alors je l'avoue lorsque j'en ai marre de toucher mon visage uniquement avec mes coudes, j'appelle ma chef pour aller aux toilettes. Il faut demander l'autorisation pour tout ce qui est très gênant parfois.
Mais il faut savoir qu' à la longue, la caissière a développé des anticorps extrêmement puissants. Lors de ma première année en caisse j'ai eu toute sorte de maladies dont je ne soupçonnais pas l’existence. Aujourd'hui je me soigne à base de gel désinfectant, en sirop, en suppositoires... Je n'ai plus peur de rien.
Cependant je ne demanderais qu'une faveur aux clients : ne plus me dévisager lorsque je me mouche. Vous avez compris que nous faisons extrêmement attention aux microbes et évidemment je vais me désinfecter les mains après! Par pitié un peu d'intimité, je suis extrêmement timide des trous de nez, me fixer pour que j'aille plus vite ne fait que ralentir le processus et cela me donne l'envie irrésistible de lancer un : "vous en voulez c'est en promo?".
Mo